samedi 1 novembre 2014

Le cinéma d'horreur moderne ne fait-il plus peur ? Réflexions sur l'horreur au XXIème siècle, par Boschomy

L'incontournable Michael Myers, issu du non-moins
 incontournable La Nuit des Masques (John Carpenter, 1978)
Halloween. Une occasion rêvée pour passer une soirée entière devant votre écran, à furieusement engloutir vos films d'horreur préférés. Mais voilà, le constat est là, blasant: les films d'horreur ne font (feraient?) plus peur. Un triste constat, qui vous condamne à vous repasser, non sans une certaine lassitude, quelques incontournables du genre : La Nuit des masques, Les Griffes de la nuit, l'Exorciste, Alien... Mais vous en avez marre de ressasser les mêmes œuvres, aussi excellentes soient-elles. Cela tombe bien, nous aussi. Un autre constat nous irrite : celui de devoir renoncer, au XXIème siècle, à un cinéma horrifique qui ferait véritablement peur. Ce pourquoi nous allons essayer, avec beaucoup de modestie mais avec une dose énorme de passion, de déceler ce mal de l'horreur moderne, en nous interrogeant sur la capacité de ce dernier à réellement nous effrayer, nous éprouver. Cet article sera une opportunité pour soumettre quelques réflexions sur le thème gigantesque de la peur dans le film d'horreur, avant de suggérer quelques films qui démontrent qu'aujourd'hui encore, la peur à l'écran est toujours d'actualité. Bonne lecture et bon Halloween.

Symptomatique ? La nuit des morts-vivants (George Romero, 1968)
reste encore à ce jour l'expérience de zombies la plus éprouvante !
Quoi de mieux que de se faire peur ? De manière très précoce, l'horreur à l'écran s'est imposée comme un objet de fascination, nous mettant face à nos propres angoisses, nos propres hantises, avec comme seul couvert de protection la barrière fictionnelle, aussi fragile soit-elle. La popularité du cinéma d'horreur ne saurait démentir ce fait: il y a quelque chose dans cet art macabre de magnétisant, sorte d'objet d'interdit qui se sert de nos faiblesses pour mieux nous soumettre à la tentation. Si le film d'horreur est un objet mercantile souvent propice aux meilleurs spéculations, il est avant un fantastique exutoire pour tout spectateur qui se soumet à son emprise. C'est parce qu'il nous pousse dans nos derniers retranchements, qu'il invoque des peurs primales, qu'il suscite troubles et paniques, que le film d'horreur s'impose comme une œuvre d'art particulière. Et le premier des sentiments qu'invoque le film d'horreur, c'est bel et bien la peur, la terreur. Si les spectateurs furent terrorisés lors de l'arrivée d'un train en gare de la Ciotat, on n'ose imaginer les réactions lors des premières diffusions des mésaventures de Frankenstein et Dracula ! De tous temps, les films d'horreur ont mis en scène des icônes effrayantes, du loup-garou au tueur en série insatiable, en passant par des êtres occultes ou venant d'un autre monde... Mais qu'en est-il aujourd'hui de la peur à l'écran ? Pourquoi le public ne semble plus effrayé par un genre qui, pourtant, ne cesse de nous mettre en face de nos propres cauchemars ?

Le cultissime Saw (James Wan, 2004), initiateur 
de la mouvance controversée du torture-porn
Divers éléments peuvent être avancés pour corroborer notre propos. Le premier argument serait celui d'une radicalisation du cinéma d'horreur moderne, qui puise désormais bien moins dans le sentiment de peur que dans un parti pris visuel plus extrême que jamais. Le gore et sa cruauté viscérale ont pris le pas sur des sentiments plus implicites que sont la frayeur, l'angoisse, le frisson. L'avènement du sous-genre torture-porn (déjà existant dans les années 1960, mais réellement popularisé au début des années 2000) est symptomatique : Hostel, The Human Centipede, Saw, The Collector... autant de réalisations qui ont acquis leur notoriété par leur portrait réaliste et extrême des pires atrocités imaginables. Si le sous-genre a peiné à s'inscrire dans la durée sans se caricaturer, il a néanmoins su combler les attentes d'un public avide de (nouvelles) sensations fortes. Á quoi bon, dès lors, brandir de sempiternels fantômes pour effrayer l'assistance ?

Qu'est-ce que l'on ne donnerait pas pour être si effrayés au cinéma...
Ici avec Paranormal Activity 3 (Henry Joost et Ariel Schulman, 2011) 
Une deuxième raison peut être invoquée, concernant d'avantage les films à vocation horrifique, c'est celle d'un marketing outrancier qui a tendance à survaloriser les films en question. La mode a été lancée avec Le Projet Blair Witch (qui est encore aujourd'hui un des films d'horreur les plus rentables de l'histoire) et a explosé par la suite : quelques exemples récents comme The Devil Inside, Paranormal Activity ou Cloverfield ont mis sur pied d'audacieuses tactiques de marketing, allant de la diffusion des rumeurs les plus folles à la retransmission de témoignages des spectateurs, quand ces derniers ne sont pas filmés directement dans la salle de cinéma. Un marketing qui, malheureusement, gonfle énormément la qualité des films : le buzz prend peu à peu le pas sur l’œuvre, la curiosité sur les avis critiques... C'est plus généralement les trailers auxquels on peut incomber la faute, ces derniers étant des compilations agencées avec tant de soin qu'ils donnent une image plus flatteuse (mais de là, plus biaisée) que le film dans son intégralité : il est en effet bien plus facile de maintenir la tension à flot pendant deux minutes que pendant une heure trente. Les exemples ne manquent pas (voir le trailer ci-dessous). N'oublions pas la très systématique mention « inspiré de faits réels », qui ne fait que contribuer un peu plus à la fumisterie...


Ringu (Hideo Nakata, 1997), avatar de la J-horror
ou la peur concoctée par les Japonais
Une autre caractéristique, qui qualifierait assez bien le cinéma d'horreur moderne, est celle de l'absence d'idées novatrices. Il est assez éloquent de constater que depuis la décennie des années 2000, le cinéma d'horreur subit comme une panne, se contenant de recycler la plupart des schémas hérités des générations précédentes, en témoigne la pléiade de remakes réalisés ces dix dernières années, entre autres. La dernière véritable innovation du genre fut la réactualisation du slasher, initiée notamment par Serial Mother (1994) et Scream (1996), via une introspection du genre qui s’accommodait d'un registre comique assuré. Il ne s'agissait plus de faire peur, mais de rendre un hommage décalé à un sous-genre en perdition. La révolution initiée par la J-horror (Ringu, Ju-on...) a cependant procuré de nombreux frissons au public, même si le phénomène a très rapidement fini par tourner en rond. Notons tout de même l'effervescente percée du found-footage, seule initiative récente ayant tenté de redonner ses lettres de noblesse à la terreur au cinéma, même si le sous-genre recèle de films de seconde zone, faute à une mécanique de réalisation très simpliste et à des budgets souvent dérisoires. Si l'on en revient à l'absence de nouveautés, on constate en effet que le cinéma d'horreur moderne réinvente plus qu'il n'invente. Il se place donc dans une situation délicate de soumission à des modèles, perdant dès lors une bonne partie d'unicité susceptible notamment d'effrayer le spectateur (rien de plus terrorisant que l'inconnu, non?). Prenons par exemple le remake de Halloween, réalisé par Rob Zombie: le film a beau être de bonne facture, il ne parvient pas à recréer l'angoisse limite paranoïaque du long-métrage de Carpenter. Le cas des films d'exorcisme est aussi éloquent : quel film a réussi à concurrencer le diabolisme dont faisait preuve Friedkin en 1973 ? On cherche encore...

Difficile de croire en la capacité cathartique 7
d'un Nosferatu (Friedrich Murnau, 1922) aujourd'hui...
Enfin, force est de reconnaître que l'audience est de plus en plus difficile à éprouver : au terme de plus de cent ans de films d'horreur, de milliers de films réalisés, faire peur n'est plus une tache aussi facile à accomplir qu'auparavant. Sans oublier que le monde dans lequel nous vivons s'est probablement accommodé des pires atrocités connues jusqu'ici. Le monde avance, les mœurs et la résistance à l'inconnu également, le voyeurisme ne connait plus aucune limite... Au cinéma de suivre ! Peut-on pour autant décréter qu'il n'est plus possible de faire peur au cinéma aujourd'hui ? Absolument pas. N'oublions pas que les films d'horreur bénéficient plus que jamais des progrès incommensurables de la technologie cinématographique, leur permettant de se hausser à la hauteur des attentes du public, jeune mais exigeant. Bien entendu, c'est aussi dans sa capacité à se renouveler que le cinéma horrifique pourra plus facilement déjouer les attentes de chacun : un challenge d'ampleur, mais qui n'est pas insurmontable.

Afin de clôturer ce billet qui pourrait paraître excessivement pessimiste (qui ne l'est pourtant pas tant!), voici une liste (non-exhaustive) de ces films d'horreur issus de l'ère moderne (quinze dernières années, classés par ordre chronologique) qui ont su, par un moyen ou par un autre, nous éprouver, nous effrayer, nous redonner espoir dans leur dimension cathartique. De quoi vous donner des idées de visionnages si jamais vous ne désirez pas ressortir vos vieux classiques en ce 31 octobre. Tous les commentaires, suggestions, idées, sont les bienvenus, cet article n'étant en aucun cas exhaustif !


Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez,1999)

Ce n'est pas forcément le plus judicieux de commencer un tel top avec Le Projet Blair Witch. Mais quoi qu'on en dise, le film de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez a quelque peu révolutionné le concept de peur au cinéma. L'aboutissement souffre d'un rythme écrasé, l'exécution n'est pas toujours parfaite mais la mécanique qu'il sous-entend est ingénieuse. C'est lentement, de façon quasi-léthale (mais ô combien méthodique) que l'on s'égare dans les bois avec les protagonistes, jusqu'à une scène finale littéralement flippante. La recette gagnante du found-footage.




The Eye (Oxide et Danny Pang, 2002)

Partons à Hong-Kong pour découvrir un des plus beaux efforts asiatiques en termes de film d'horreur. The Eye n'est pas grandiloquent, mais reste incroyablement efficace : tout est question de ressenti, d'atmosphère, de non-dit. Le montage joue pour beaucoup, mettant à contribution le spectateur, même s'il faut se laisser prendre au jeu pour pleinement succomber à son charme, sans quoi les quelques longueurs pourraient vous décourager.





Deux Soeurs (Kim Jee-Woon, 2003)

Récit labyrinthique, adaptation d'un conte populaire coréen, Deux Sœurs joue sur un double tableau de film d'épouvante et d'expérience psychologique et rappelle les déambulations cinématographiques d'un Hideo Nakata. Il tire sa puissance d'évocation à la fois de ses non-dits et de ses éclats graphiques stridents. Pas facile d'accès, mais une bonne dose de peur à l'arrivée.








Shutter (Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom, 2004)

Un sommet du cinéma d'horreur asiatique. A l'aune du surnaturel, Shutter s'applique à approfondir sa thématique centrale autour de l'image. Le film laisse énormément de place à notre imagination sur le début, avant de progressivement s'imposer comme une sinistre allégorie aussi terrifiante dans son contenu que dans son allure. L'horreur a sans cesse ce goût putréfié dans Shutter, ce qui fait qu'elle s'imprime si fermement sur le spectateur. 






Ils (Xavier Palud et David Moreau, 2006)

Un couple isolé dans son immense demeure. Puis, une menace qui s'approche. Des assaillants sans visage. La frayeur à chaque recoin. Pour leur première collaboration, Xavier Palud et David Moreau frappent très fort, et ce malgré un budget rétréci. Ils est un modèle de gestion du rythme et de l'espace. Le final vous laissera bouche bée !








[REC] (Paco Plaza et Jaume Balaguero, 2007)

L'offensive espagnole envers tous ceux qui pensent que le found-footage n'est qu'une vaste arnaque. [REC] fait plus que maîtriser les codes du genre, il les transcende, au moyen d'une mise en tension qui va crescendo, sans faiblir. Un film qui détonne par sa nervosité, son aptitude à capturer intelligemment chaque moment de frayeur. Sans cesse plus éprouvant, plus claustrophobe et plus saccadé, il se conclue sur une des clausules les plus époustouflantes du genre. Must see.




The Strangers (Bryan Bertino, 2008)

C'est rare qu'un home-invasion parvienne à nous tenir à ce point en haleine. The Strangers est un monument de tension, qui se sert habilement du concept du huis-clos pour faire évoluer assaillants et assaillis. Très minimaliste dans ses effets, il n'en reste pas moins diablement oppressant, et d'un réalisme à couper le souffle (littéralement). Tension paroxysmique à l'horizon. 








The Children (Tom Shankland, 2008)

The Children n'est pas à proprement parler un film qui fait peur, dans la mesure où il se présente d'avantage comme un survival névrosé opposant enfants et parents. Mais, passé une première partie assez brouillonne, le film de Tom Shankland distille une ambiance hallucinante de perversité: les mal-entendus se dispersent et les enfants deviennent d'insatiables prédateurs que rien n'arrête. Tout y est si réaliste, et en même temps si cauchemardesque, qu'on en ressort déboussolé. Superbe chute finale.






Grave Encounters (The Vicious Brothers, 2011)

Le Projet Blair Witch, dans un hôpital psychiatrique. Grave Encounters obéit en effet à la même logique que son aîné et contient peu ou prou les mêmes faiblesses. C'est néanmoins sur sa dernière demi-heure que le film déploie tous ses atouts, pour devenir un dédale de terreur tel qu'on en voit peu dans le cinéma d'horreur. Found-footage inégal mais coriace.







La Dame en Noir (James Watkins, 2012)

La présence de La Dame en Noir dans ce top tient à sa singularité : se déroulant au XIXe siècle, son univers gothique participe à son charme horrifique. Si le film souffre d'un rythme un poil enlisé, il compense ce défaut par une appropriation réussie de ses thèmes traditionnels. Les longues séquences dans le manoir abandonné font véritablement froid dans le dos. Et Daniel Radcliffe nous fait oublier son rôle de jeune sorcier, ce qui n'est pas rien.







Sinister (Scott Derickson, 2012)

Sans aucun doute un des films les plus terrifiants de ces dernières années. C'est simple, Sinister est un véritable modèle de trouille cinématographique. Jump-scares, ambiance suffocante, invasion progressive d’éléments surnaturels... tout est réuni pour maintenir la terreur à flots. Le concept des bobines de films amateurs est particulièrement bien trouvé et comporte les scènes les plus mémorables. A ne manquer sous aucun prétexte!







Mama (Andrés Muschietti, 2013)

On ne trompera personne: Mama n'est pas un bon film, loin de là. Cependant, il recèle de séquences particulièrement sinistres. Un effort particulier est consenti au niveau du jeu d'ombres et du hors-champ, et même les moments les plus explicites font leur petit effet. La dimension fantastico-poétique vient plomber l'ensemble, mais les quelques moments de frayeur valent à eux-seuls le détour.








The Conjuring (James Wan, 2013)

LE succès incontournable de l'année 2013. The Conjuring fait entrer le cinéma d'horreur dans une nouvelle dimension et donne un sacré coup de vieux à à peu près tous les films du genre qui le précèdent. Ornemaniste du paranormal, James Wan modernise avec efficacité le mythe de la maison hantée : les thèmes restent séquentiels mais l'exécution est un modèle de mise en scène horrifique. Pas aussi torturé qu'un Sinister, mais aussi déterminé et efficace dans son appréhension de la peur.






V/H/S/2 (Adam Wingard, Simon Barrett, Greg Hale, Eduardo Sanchez, Gareth Evans, Timo Tjahjanto et Jason Eisener, 2013)

La série des V/H/S se présente comme une anthologie de courts-métrages d'horreur, chaque segment étant conçu par un réalisateur différent. Si V/H/S premier du nom était quelque peu inégal, ce second volet place la barre plus haut, au moyen de quatre histoires aussi horribles les unes que les autres. Au programme : un essai clinique qui tourne au cauchemar, une balade morbide dans les bois, la visite d'une secte obscure et une invasion d'aliens... Tous les segments ne sont pas égaux mais demeurent angoissants à souhait. L'effet vidéo amateur y est pour beaucoup.



Annabelle (John R. Leonetti, 2014)

Fustigé comme un doublon de The Conjuring, Annabelle parvient tout de même à se détacher de son modèle, en y apportant la nuance nécessaire. L'armature est globalement similaire à celle utilisée par James Wan, mais Leonetti exploite d'avantage son univers pour suggérer l'immixtion de la terreur. Le résultat est satisfaisant, entre grandiloquent et détails sordides. Moins spectaculaire, mais pas moins efficace. 



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